Le rétrogaming n’existe pas
Aujourd’hui, sous nos regards impuissants, se déroule une guerre sans merci.
C’est la grande guerre des performances. Celle qui oppose les acteurs majeurs du jeux vidéo, à savoir les fabricants de consoles, les éditeurs, les distributeurs et les studios de développement.
Un combat ancestral afin de savoir qui aura la machine la plus puissante, la plus grosse franchise ou encore le plus grand nombre de pixels. Une course au « toujours plus » qui donne souvent l’impression de privilégier la quantité au détriment de la qualité.
Au milieu de ce brouhaha, l’émergence du retrogaming prend la forme d’une zone neutre. Un territoire où ces luttes intestines auraient perdu leurs sens au fil des ans, pour laisser la place à quelque chose d’autre.
Quelque chose qui vient contredire l’ordre établi, un grain de sable dans l’engrenage de l’industrie vidéoludique. Un phénomène contre nature, qui intrigue autant qu’il surprend.
Mais alors quelle peut bien être la nature de cette joyeuse anomalie ? Ou comme le dirait les Talking Heads : “le retrogaming, qu’est-ce que c’est ?”
La controverse temporelle
Si l’on traduit littéralement cet anglicisme, le rétrogaming désigne le fait de jouer à d’anciens jeux vidéo quelle que soit la plateforme : arcade, console ou PC. Une notion complexe à appréhender car sur ce point précis de l’ancienneté, les avis divergent.
Pour certain·e·s, il s’agit de l’évolution des jeux de la 2D vers la 3D. D’autres préfèreront placer le curseur au niveau du passage au nouveau millénaire conjugué à l’accroissement du jeu en ligne. Enfin, d’autres encore, choisissent de se baser sur la transition vers le standard HDMI, couplé au changement du format 4:3 vers le 16:9. Les dernières plateformes considérées comme rétro sont alors celles de la sixième génération (PS2, XBOX, GameCube, Dreamcast).
Le phénomène émerge à la fin des années 90, au moment de la démocratisation d’Internet et de l’apparition des premiers émulateurs.
Une communauté de gamers mutant·e·s, entre archéologues et hackers, s’emploie à retrouver et à compiler un maximum de titres afin de les mettre à disposition de tous, gratuitement sur la toile. En effet, les ayants-droits de ses jeux ne peuvent plus prétendre à une quelconque rémunération puisque ces titres ne sont plus commercialisés. Leur mise à disposition par des moyens détournés ne pose donc plus de problème légal. Ainsi chaque support disparu aura le droit à son émulateur.
Petit à petit, le secteur connait une évolution discrète mais constante, à mesure que les catalogues d’émulation s’étoffent. Une évolution qui semble être arrivé à son paroxysme ces dernières années.
Un passé actuel
On en prendra pour preuve la flambée des prix de l’occasion, synonyme d’une demande grandissante. On peut même constater la métamorphose du marché de l’occasion vers celui de la collection, où certaines « pièces » se vendent à des prix exorbitants. Comme en août dernier lorsqu’une cartouche NES sous blister de Super Mario Bros s’est vendue aux enchères pour la modique somme de 2 millions de dollars. Un mois auparavant, un exemplaire de Mario 64 était parti pour 1, 56 millions de dollars. Ça fait cher le champignon magique !
Au milieu des années 2000s, le retour de l’esthétique des années 80 infiltre toutes les strates de la culture populaire. De sa rencontre avec le jeu vidéo naît le Pixel Art. La scène indépendante s’empare de ce mouvement qui se transforme alors en un véritable courant artistique. Son esthétique volontairement épurée donne la possibilité aux programmeurs et programmeuses de créer à moindre coût, tout en conservant une véritable patte. Une économie de moyens qui permet aussi de préserver sa liberté créative en restant indépendant. Cela débouchera sur des jeux aux partis pris sans concession et aux mécaniques surprenantes.
Grace à ce mouvement, les productions indépendantes sont de plus en plus nombreuses et entraînent l’émergence de nouvelles tendances basées sur l’esprit du rétrogaming, à l’instar du “néo rétrogaming” ou “l’art de faire du nouveau vieux”.
Dans cette pratique, des studios de développement d’aujourd’hui décident de fabriquer des jeux destinés aux plateformes d’hier. Certains vont même jusqu’à produire, des supports physiques que l’on aura la joie d’insérer dans notre console préférée. Comme c’est le cas sur la Mega Drive avec Xeno Crisis, Paprium ou encore cette année, Demons of Asteborg. Ces machines qualifiées d’obsolètes bénéficient alors soudainement d’une actualité renouvelée.
Naturellement, les fabricants de plateformes ne tardent pas à s’engouffrer dans la brèche. Ils commercialisent aujourd’hui, en format de poche des rééditions des machines ayant fait leur gloire passée. C’est ainsi, que les fanboys et fangirls du monde entier se déchirent pour obtenir un exemplaire d’une mini Super Nes, d’une mini Megadrive ou encore d’une mini Neo Geo.
Même les bornes d’arcades, pourtant si encombrantes, ne sont pas en reste. Effectivement, depuis environ une quinzaine d’années, des passionné·e·s s’emploient à redonner vie à ces vieilles machines en proposant à prix d’or des modèles sur mesures.
En définitive, si l’on rajoute à cette liste tous les portages d’anciens jeux sur les consoles next gen qu’ils soient officiels ou homebrew, force est de constater que le marché du vieux n’a jamais été aussi jeune. Un glitch dans la matrix qui va plus loin qu’un simple déjà-vu.
Si le plus souvent, on tente d’expliquer ce phénomène par la simple nostalgie, à y regarder d’un peu plus près, il semble que la pratique du rétrogaming trouve son origine ailleurs.
Car même s’il est vrai que les développeurs et développeuses d’aujourd’hui sont les gamers d’hier (leur âge moyen en 2020 était de 39 ans) et qu’iels apportent naturellement leurs influences et leurs souvenirs, la nostalgie seule n’est pas un critère suffisant pour expliquer le succès tonitruant du rétrogaming.
Retro vs Classique
Tout d’abord parce ce critère mettrait de côté tout un pan de la population qui s’adonne à cette pratique sans en avoir conscience.
Comme on l’a déjà vu plus tôt, le rétrogaming noue des liens étroits avec une certaine économie de moyens et on le retrouve à chaque fois que les limitations techniques forcent à l’utilisation d’une esthétique ne demandant que peu de ressources.
C’est pourquoi une grande partie du public des jeux mobiles pratique indirectement le rétrogaming étant donné que tant au niveau des mécanismes de jeu, qu’au niveau des graphismes, ce genre de jeu est compatible avec les capacités de leurs smartphones. Candy crush, un des plus gros succès sur mobile, avec ces allures de Puzzle Bubble n’est-il pas qu’une déclinaison du concept indémodable de Tetris ?
Ensuite, ces jeux rétros, qu’ils soient « Neo » ou pas, partagent souvent un trait en commun. Celui d’être dotés d’une accessibilité évidente sans jamais tomber dans le simplisme. La plupart illustre à la perfection la fameuse loi de Bushnell, selon laquelle les meilleurs jeux sont ceux qui sont faciles à appréhender mais difficile à maîtriser. En refusant de participer à la surenchère technologique, ils peuvent se concentrer sur l’originalité de leur concept.
Le rétrogaming nous permet aussi de continuer à jouer a des genres qui ont quasiment disparus aujourd’hui. Les jeux d’aventures point and click, les beat them all, les run and gun, les shoot’em up auxquels l’industrie avait interdit l’accès en prétextant une obsolescence tout à fait artificielle.
Il en va de même pour le multiplayer en local. Il est terriblement difficile aujourd’hui de trouver sur les consoles dites modernes, un titre qui permettra de jouer à 4, le derrière confortablement installé sur un canapé. On n’a pourtant rarement fait plus efficace et convivial qu’un Bomberman, un Worms ou encore un Mario Kart 64. Des franchises qui sont d’ailleurs régulièrement, rééditées, adaptées ou déclinées sur chaque nouveau support.
Ne devrait-on finalement pas plutôt parler dans ce cas de Classic gaming ? Ou plus simplement, de gaming tout court ?
Après tout lorsque l’on regarde un vieux film en noir et blanc, est-ce que l’on pratique le rétrowatching ? Quand on lit une œuvre de Marc Twain ou de Dostoievsky, pratique-ton le rétroreading ? Ou est-ce que l’on nage en plein rétrolistening lorsque l’on écoute un album des Beatles ou une symphonie de Mozart ?
Alors que le jeu vidéo est aujourd’hui considéré comme le 10e art, il reste le seul à souffrir de cette stigmatisation technologico-temporelle. Il est le seul à posséder un passé affublé d’une aura évoquant la désuétude et l’obsolescence.
À force d’acharnement, l’industrie vidéoludique nous a-t-elle conditionné·e·s à imposer une distinction manichéenne entre, d’un côté, la nouveauté censée représenter le bon et de l’autre, l’ancienneté incarnant le médiocre ?
Alive and kicking
Cette hypothèse signifierait alors que le rétrogaming n’a jamais existé. Il ne s’agit que d’une vision de l’esprit imposée sans véritable fondement, à part quelques considérations bassement matérielles sans rapport avec le plaisir de jouer.
Le rétrogaming peut certainement s’employer pour décrire un style mais aucunement un genre à part entière.
Jouer à un vieux jeu devient alors un acte de rébellion qui retentit comme un avertissement adressé à l’industrie du jeu vidéo afin de la pousser à s’interroger sur sa propre évolution.
Les joueurs et joueuses se métamorphosent en résistant·e·s à qui il incombe de faire vivre les grands classiques de l’histoire tout en continuant à découvrir et à jouer à des chefs d’œuvres intemporels.
C’est exactement ce qui justifie l’engagement de Piepacker dont la démarche ne se résume pas seulement à honorer les « anciens » jeux. Il s’agit avant toute chose de les faire revivre ou plus précisément, de démontrer leur immuable pertinence.
En proposant à la fois des classiques du genre ainsi que des nouveautés originales, Piepacker transcende la simple nostalgie et déconstruit de fait les préjugés qui oppressent cette pratique.
En mettant à l’honneur l’aspect social du gaming, on revient tout simplement aux fondations du concept du jeu telles que la stimulation de l’intellect, le défi entrainant une émulation sociale et donc le partage.
On comprend alors que le rétrogaming reste avant tout du gaming, du jeu. Une activité qui n’a jamais existé grâce à une débauche de performances techniques, mais bel et bien grâce à un bloc de principes inaltérables. Ceux-là mêmes que Piepacker s’emploie à faire prospérer aujourd’hui sur sa plateforme.
Cette hypothèse signifierait alors que le rétrogaming n’a jamais existé. Il ne s’agit que d’une
vision de l’esprit imposée sans véritable fondement à part quelques considérations
bassement matérielles sans rapport avec le plaisir de jouer.
Le rétrogaming peut certainement s’employer pour décrire un style mais aucunement un
genre à part entière.
Jouer à un vieux jeu devient alors un acte de rébellion qui retentit comme un avertissement
adressé à l’industrie du jeu vidéo afin de la pousser à s’interroger sur sa propre évolution.
Le gamer se métamorphose en un résistant à qui il incombe de faire vivre les grands
classiques de l’histoire tout en continuant à découvrir et à jouer à des chefs d’œuvres
intemporels.
C’est exactement ce qui justifie l’engagement de Piepacker dont la démarche ici, ne se
résume pas seulement à honorer les « anciens » jeux. Il s’agit avant toute chose de les faire
revivre ou plus précisément, de démontrer leur immuable pertinence.
En proposant à la fois des classiques du genre ainsi que des nouveautés originales,
Piepacker transcende la simple nostalgie et déconstruit de fait les préjugés qui oppressent
cette pratique.
En mettant à l’honneur l’aspect social du gaming, on revient tout simplement aux fondations
du concept du jeu tels que la stimulation de l’intellect, le défi entrainant une émulation sociale
et donc le partage.
On comprend alors que le rétrogaming reste avant tout du gaming, du jeu. Une activité qui
n’a jamais existé grâce à une débauche de performances techniques, mais bel et bien grâce
à un bloc de principes inaltérables. Ceux-là mêmes que Piepacker s’emploie à faire
prospérer aujourd’hui sur sa plateforme.